top of page

Les possibilités des métamorphoses

de Charp

Il est un passage secret, au cœur de l’esprit, qui mène au centre des mondes. On n’y parvient qu’à rebours de la conscience commune. Ainsi croit-on que les sens, et l’œil particulièrement, mènent au monde. Mais ils entraînent au contraire à l’intérieur de soi.

Ainsi encore, ce passage est fait du chemin qui y conduit, comme une faille au sol ouvert par les séismes de l’errance. Et ce chemin n’est pas à suivre, comme l’on fait de ceux qui nous préexistent, mais à tracer.

Les œuvres récentes de Jacques Zimmermann se situent au seuil même de cette porte étroite de sens et large de visions. Elles nous disent ce lointain, libre du temps, hors de l’être, ce passage par où se mirent les noyaux d’univers, et qui chez lui a les tons des eaux profondes parcourues d’écailles de terre et de langues volcaniques, des terres levées par le feu qui les élancent. Ce sont des évocations de la nature que le regard porté sur ces toiles appelle, et pourtant celle-ci se livre ici exempte de ses formes coutumières et de signes de reconnaissance.

Pour avancer sur ce chemin qui mène au noyau obscur de la conscience imaginaire, l’œil, la main se dévêtent des formes, perdant contact avec le réel en ses œuvres. Celui-ci pourtant subsiste, en une nostalgie sublimée d’une entente ancienne, tissant en l’œuvre des volées d’échos. Pour jouer de cette corde dont les harmoniques jettent des passerelles d’éclairs entre les mondes intérieur et extérieur, Jacques Zimmermann emprunte au réalisme ancien son ambition magicienne de capter la force créatrice du réel, mimant sur l’étendue immobile de la toile le mouvement et la profondeur, convoquant la transparence et l’épaisseur, les jeux de lumière et d’ombre en un rituel visionnaire, sommant les matériaux, grain de la toile, pâte des couleurs, liseré des traits, de révéler leur puissance de traces et d’évocations. Ainsi arc-boutées sur d’anciens sortilèges, les compositions abstraites se vêtent d’anciens désirs et de prochaines réminiscences.

L’art plastique, au fil de son histoire, s’est défait du réel. Il y allait là de son autonomie vis-à-vis de tout critère externe, de la mise au jour de ses ressorts profonds. Ce fut une lente maturation. Il fallait que chaque distance prise féconde les mondes nouveaux de ses appels, par où la perte de l’évidence réaliste soit compensée par une résonance ,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

IMG_0282.JPG

plus intérieure, une rencontre à distance. Avec l’avènement de l’abstrait, on aborda les dernières terres de ce voyage. Ainsi lâchées les dernières amarres, l'art s’est trouvé à l’un des points de bifurcations essentielles de son histoire.

Perte du sens, absence de repères, manque de critères objectifs : tout cela dit la situation ambivalente de l’art depuis que furent rompus les dernières ressemblances. Les repères ne sont que les béquilles de l’émotion, unique voie d’accès à l’art authentique, mais il serait ,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

présomptueux de prétendre que le regard peut avancer seul, particulièrement en cette époque où l’imaginaire s’assèche en virtuel, se débite en produits du marché. À ce point de bifurcation, les conditions extérieures deviennent déterminantes pour un art se nourrissant jusqu’alors de sa propre lancée.

Depuis cette perte de sens, il ne s’est ouvert, grossièrement tracées, que trois voies, non compris le retour en arrière que célèbrent les réalismes tautologiques et insipides en tout genre : celui de l’art servile, par recours ,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

2000 et quelque.JPG

au sens extérieur : l’œuvre ne prenant sens que dans le discours qui l’accompagne ; celui de l’art aveuglé par son propre spectacle, par la mise en scène de l’acte créateur : happening, art gestuel, installations, etc. qui renvoie l’art à une fonction de décor, fut-ce encore en l’étayant de discours.

Enfin il est une voie, seule à même de poursuivre l’aventure artistique, la remontée vers les sources de l’obscurité génitrice de l’imaginaire, n’abandonnant pas la quête de sens, ne le cherchant ni antérieur, ni extérieur, mais le laissant resurgir de la mise en œuvre des puissances créatrices, libérées par leur autonomie nouvelle, par la séparation des éléments constitutifs de l’art ancien. Une telle voie, singulière en tout artiste et dès lors dépourvue de tout critère externe, n’est reconnaissable que par l’émotion qu’elle engendre, née des fulgurances provoquées par la rencontre voilée des deux regards, intérieur et extérieur.

Quelqu'un nous suit - 2006 - 80 x 80 cm.

Ainsi ôtée de toute prédestination, la création picturale chez Jacques Zimmermann atteint le seuil du passage. Là, la dissociation, opérée tant par l’histoire de l’art que par le parcours de l’artiste entre la puissance créatrice et ses produits nous livre un langage artistique réduit en traces, épaisseurs, couleurs, traits et gestes, et un langage réel soumis à même réduction en lumière, profondeur, transparence et mouvement. Là, en ce domaine d’exil, s’entend à qui peut voir des hymnes de surgissements et d’effusion des deux mondes, réel et imaginaire, à fleur de genèse.

 

Les œuvres se déploient en écoute et réponse, guidées par une complicité, accrue au cours du temps, entre moyens techniques, par lesquels l’artiste anticipe le jeu libre du hasard et des résistances de la matière picturale, et sensibilité aux désirs de formes, de lumières, d’êtres et de paysages nourris par la nostalgie créatrice.

À la croisée de la figuration et de l’abstraction, la virtuosité technique n’y est plus la capacité comme en l’art ancien d’accomplir un projet, mais de provoquer les résonances entre élan créateur et nostalgie fécondante, respiration constante, double mouvement de plongée et de résurgence, de sape et d’édification, de repli et d’effusion.

Ainsi est atteint ce passage secret de l’esprit, entre abysses intérieurs et entrailles des mondes. Il n’est plus recouvert que du fin voile de la vision créatrice, tremblant sous le souffle du regard. Et l’on perçoit sous les ombres changeantes de son drapé que le paradis perdu, inventé par le souvenir pour nous mener vers un improbable retour, est recréé toujours sous d’infinies variations, qu’il a les visages des chemins parcourus à sa recherche. Ces profusions d’univers déployées sur le fil du voile, funambules de l’imaginaire, célèbrent les noces initiatiques du sens retrouvé et du verbe scellé. Chaque tableau nous entraîne ainsi en ce passage secret qui nous hante, chacun en est le voile même sous ces possibles métamorphoses.

Charp, 2008

bottom of page